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Valium, Ativan et grosse mol

  • Writer: Brice Dansereau-Olivier
    Brice Dansereau-Olivier
  • Feb 17, 2014
  • 4 min read

Par Emmanuel Cree - Lundi après-midi. La job.

***

Et pis d’la marde le patron, on s’offre une pause cigarette. Malgré mes huit pelures pis du thé brûlant, dehors, c’est la toundra sibérienne. De fait, la rue est quasi déserte. Perchés stoïquement, des pigeons se partagent un peu de chaleur, les yeux plissés. Les chauffeurs de taxi, eux, se collent pas, mais y s’engueulent en créole, peut-être que ça les réchauffe.

Deux meudames (qui sentent l’push-push…), bronzées jaune-orange, emmitouflées de chinchilla et vison, avec des grosses barniques aux verres fumés, toisent un itinérant qui traine d’la patte. Il leur tend une main rougie et gonflée par l’hypothermie, « envoyez, juste une ou deux piastres ». Elles daignent pas répondre et se contentent de se taire.

Nous autres, on jase d’actualité.

D’ailleurs, la veille, j’en ai appris une salée. La STM, tout juste après une autre (sempiternelle) hausse de tarifs, annonce des compressions. Ouais, des coupes de service, une histoire du budget. Ça, on s’y attendait, zeitgeist de merde. Mais Hydro-Québec, pour enfoncer le clou, décide de supprimer le statut de client privilégié à la société de transport. Devine c’est qui les chanceux qui vont se la prendre.

Moi, j’sacre comme un charretier. Ça s’peux-tu, ‘barnak, des salauds de même? Comment peut-on tolérer ça? Les collègues grognent, mais sans plus. Voyons, ça vous choque pas? Un d’eux soupire.

« Ça donne rien d’chialer, c’est toujours d’même, pis ça changera pas. Le petit peuple qui sue pour nourrir deux trois profiteurs couronnés, pomponnés, rien de nouveau. C’est triste, mais l’homme est un loup pour l’homme, comme disait Chose.

S’révolter, gueuler pis prendre le pavé, du pauvre monde le font depuis toujours. Pis pour peau d’vache. La majorité monte pas aux barricades tant qu’elle a encore un peu de mie d’pain à téter. J’te le dis, épuise-toi pas, l’jeune. »

Mais la grève de 2012, les brésiliens, les bosniaques, les grecs, les felquistes, la Commune de 1871, les anarchistes espagnols, c’pas que des anomalies historiques, des erreurs de parcours. Ça doit bien compter pour quelque chose?

Il renifle, écrase son mégot et rentre, je jurerais, avec le dos un peu plus courbé, les épaules plus voûtées.

***

Neuf heures de job (dont huit rémunérées) plus tard.

***

La taverne ferme bientôt. Les portes barrées, on peut fumer en paix, tant pis pour ceux qui veulent vivre vieux. C’est mort, y a que les piliers de bar, des bonhommes fatigués, les tripes noires, les yeux jaunes. Plus un gars à la machine Loto-Québec, les pupilles dilatées, grosses comme des trente sous. Y a du cock-rock qui grésille à la radio, des reprises au ralentit du match à la télé, des écailles de graines de tournesol au sol pis des bouteilles qui s’vident trop vite.

Au comptoir, ça jase hockey, baseball, statistiques, gros contrats juteux, blessures de « tapette ». Tous les soirs, jusqu’au jour où la cirrhose l’emportera. Ici, on refait pas le monde, on l’endure. Chaines sportives spécialisées, nos cerveaux comateux vous remercient.

Avec un pote, on discute d’une manif qui s’en vient. Au Sud, dans St-Henri, là où les promoteurs, les macbookeux de McGill pis les p’tits commerces fancy délogent subtilement les locataires. Pas de « tasse-toi minus, ma tribu pis moi, on emménage», juste une expulsion lente, pernicieuse.

Moins de condo pis de cafés à huit piastres, et plus de logements sociaux. Ça permettrait à tous de souffler un peu. Le FRAPRU en demande combien pour l’ensemble de la province? Cinquante mille. Ça nous semble le strict minimum. Un tampon entre les moins nantis et les vautours.

R…, assis à côté, nous écoute. On parle rapport de force, moyens de pression, désobéissance civile, etc. Ça l’énerve, ces idées-là. On pourrait-tu pas, comme tout le monde, fermer nos gueules, hein? Entre une gorgé d’bière pis un rot, il marmonne des « hosties » pis des « calisses », il grimace, rumine sur sa chaise.

On s’en fout, qu’y crève. On poursuit. C’pas les élus du coin qui vont prendre une initiative, on le sait bien. Copains comme cochons avec les magnats de l’immobilier. Et Coderre, mieux vaut pas en parler, ce serait se faire violence. Qu’on rétablisse la taxe sur le capital, que les banques contribuent, entre deux saisies. Foutues vipères.

Le but d’une manif, c’est de déranger, de se faire entendre, non? Alors, fuck les bœufs, fuck les itinéraires pis fuck les frustrés du volant.

C’est là que R… éclate. Les postillons, le visage cramoisi, la voix qui déraille, l’infarctus latent qui s’excite, la totale.

« Z’avez pas fini, hein, de faire chier le peuple! Parce qu’vous trouvez pas avoir assez foutu le bordel, en 2012, avec vos crisses de manifs pis vos tabarnak de casseroles! Justice sociale, justice sociale, ben ouais, et qui c’est qui va la ramasser, la facture? Qui c’est qui va payer pour ça? Vous êtes qui, anyway, pour dicter ce qu’on devrait faire? Des entrepreneurs, des hommes d’affaires, des gens avec d’l’expérience? Z’êtes-tu habitués à gérer ça, des populations entières? C’pas parce que tu lis une couple de livres que tu peux t’improviser expert…»

On se tait, on le laisse souffler. Les autres, mal à l’aise, reprennent leur analyse de la game, gênés qu’on soit encore là.

***

La routine, les jours qui s’égrainent sans heurt, sans que rien ne vienne brusquer leur merditude, certains s’y accrochent comme à une bouée. À encaisser sans broncher les déceptions. Pour rester sain d’esprit dans ce marasme, éviter la misanthropie chronique, j’espère souvent que ce soit par amertume, par lâcheté, par honte, que ces gens ne se révoltent, n’élèvent la voix que contre les révoltés. Fâchés d’être mis à nu.

Parce que si cet à-plat-ventrisme devait être une réelle appréciation de sa condition, une satisfaction généralisée pour la résignation, on est cuits. Me reste plus qu’à m’acheter une grosse TV, condamner ma porte de chambre pis me trier la mousse de nombril. Crisse, j’serais ben.

Crédit photo - Abode of Chaos

 
 
 

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