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Regard critique : Montréal, 2012 (retour sur la grève étudiante)

Par Gaspar Cieceslski Lépine - La colère gronde au Québec. Une vague néo-libérale frappe les services publics et entend bien en finir avec plusieurs héritages des trente glorieuses et avec d'autres politiques pseudo-progressistes. À Montréal (et ailleurs?), de nombreux mouvements sociaux (parce que «citoyens» c'est vraiment pas fort...) se réveillent de leurs courtes rémissions et entendent bien mener une lutte contre l'austérité capitaliste. Ce moment semble opportun pour finalement faire un exercice auto-critique, qui pour beaucoup fut fait (de manière pseudo-critique) dès le lendemain des évènements qui doivent maintenant passer sous écrits.


Ces évènements sont ceux de la grève étudiante de 2012.


Plusieurs raisons motivent cet exercice, considérant la temporalité actuelle. Premièrement, partager la perception d'un évènement «considérable» en revient à la nécessité d'archiver le passé, de tenter, par quelques moyens à nos dispositions, de marquer la survie de sentiments, d'émotions et d'expériences qui, au final, sont l'expression de notre vivant et qui marquent une rupture fondamentale avec l'insignifiance d'une société fade et désintéressée, celle de la marchandise éternelle et de l'État. Cette rupture est d'autant plus importante à marquer depuis que de nombreuses sphères de la lutte sont graduellement récupérées par des institutions «légitimes» ou par des militant-e-s «respectables». Ce manque de solidarité se doit d'être attaqué de front, par le verbe, sans détour et sans politesses. Ensuite, cet archivage a pour but, au-delà de son existence propre, d'ancrer une perspective historique dans le continuum des luttes sociales ainsi que de lancer un écho aux mouvements à venir. Car la somme de ces échos forme le réel «débat social», espace de liberté et de lutte perpétuelle qui façonne et définit continuellement la forme et le fond, la substance et la nature de nos luttes. Sans cet espace, sans cet effort, car la critique et l'auto-critique ne sont pas autre chose, l'existence est condamnée à la perpétuelle reproduction, entraînée dans la spirale conservatrice du «faisons comme avant...» et dans le confort et l'indifférence de la paresse intellectuelle. Au-delà de la nécessité du débat social, il existe aussi une amertume, un sentiment de malaise et de frustration qui persiste encore et toujours, qui ne fût pas sustenté par les réjouissances de la «victoire» et qui motive aujourd'hui, la rédaction de ces lignes. Devant nous, le mouvement qui prend forme, telle une meute indomptable, semble aussi puissant que naïf. D'où l'importance d'un peu de brasse-camarade.

Il semble ridiculement important de commencer ce récit par l'annonce suivante : Ce qu'y s'y trouve narré circonscrit l'expérience d'une seule personne et ne prétend pas à la vérité. Il y va uniquement d'une initiative de partage et d'appréhension face à un mouvement, auquel, malgré les circonstances géographiques, je me sens prendre part. Je me sens également comme l'avertissement «danger, chaud» sur un café Starbucks mais bon….

Le voile de l'unité est le premier problème qui sera adressé. L'unité est un but fort louable mais complexe et potentiellement problématique. Pour que l'unité puisse être atteinte de manière acceptable, elle doit être issue de l'organique, d'une composition volontaire et naturelle de tous ses membres, basée sur l'affinité – ou du moins, la tolérance - de pratiques politiques et de valeurs. Sans cet effort, l'unité se constitue par des rapports vicieux ou factices entre les groupes et les individus qui les composent et mène à plusieurs problèmes que nous avons vécus en 2012. Le danger de la formation de groupes privilégiés, malgré la structure «stricte», au sein de grandes organisations ne fut pas qu'un problème théorique lors de notre grève. De grandes tendances ont émergé à certains points, non partagées par l'ensemble des membres et ont mené à la normalisation et à la marginalisation (les deux termes semblent être indissociables) des certains groupes au sein du mouvement. Il n'est évidemment pas ici question de la tension entre les fédérations corporatistes et la CLASSE mais bien des dynamiques au sein même de cette dernière. Ce double phénomène s'est articulé autant dans les congrès, dans les comités de travail que dans la rue. Au final, il aura mené à l'impossible solidarité, aux conflits internes et ultimement à la défaite du mouvement. Certaines de ces dynamiques, que l'on pourrait qualifier d'aristocrates, qui reprennent de manière remarquable certains critères de Jo Freeman peuvent toute fois être expliquées et situées dans leur contexte. Si de telles dynamiques ont émergé à travers les nombreux mois de grève, c'est peut-être parce que les paramètres de la coalition ne furent pas partagés de manière adéquate, que l'égalité, la tolérance ou le respect nécessaire ne fut pas installé au préalable de l'union, que nous ne fumes pas prêts. Ou bien…

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Parmi les facteurs qui participèrent à notre perte, un des plus déplorables fut la quête de l'imagisme, qui trouva, pendant ces mois, un grand nombre de fidèles pour mener à bien son agenda rempli d'entrevues. Qu'est-il à espérer en collaborant avec les médias corporatistes, sommes-nous si pressé-e-s d'être dépossédé-e-s de nos moyens de communication? L'image médiatique que tenta de se donner la CLASSE pendant le conflit fut un sujet de tension à l'interne et si cette stratégie venait à être valorisée de nouveau, ce serait, comme ce fût le cas à l'époque, une très mauvaise manière de procéder. Choisir l'image, c'est prioriser la forme au fond. En ce qui concerne le travail avec les journalistes, à moins d'établir des paramètres stricts et entièrement nôtres quand à notre collaboration, le risque de perdre le contrôle de notre discours est indéniablement présent. L'ouverture des structures, de l'ASSÉ à la CLASSE, fut aussi une erreur générée par une certaine volonté imagiste, la nécessité du nombre. En effet, l'adhésion de nouvelles associations (aux positions politiques parfois douteuses) participa à transformer les dynamiques de congrès et contribua à la marginalisation de certains. Toutefois, il fallait montrer que le mouvement était uni, qu'il était fort mais surtout qu'il était respectable. Il fallait jouer le jeu, se hisser au rang des acteurs dignes d'existence pour amorcer un dialogue avec l'ordre établi. Peut-être que c'est avec nous même que nous aurions dû entamer un dialogue. On retrouve aussi l'imagisme au cœur des processus de marchandisation qu'a connus le mouvement, notamment par l'action d'une certaine école. On pourrait aussi parler du carré rouge, qui fut ultimement une bien belle parure mais surtout un outil de profilage pour la police. Mais cette volonté est encore mieux illustrée par un certain concert, réunissant l'école, les «leaders», un certain groupe nationaliste et leur «bonne fin de soirée pacifique». Le comble de l'image, aussi factice qu'insignifiante, aussi vicieuse qu'acceptable. Et la foule en délire. Ou bien….

Un autre danger que nous n'avons pas su éviter est celui de l'empressement, celui de l'urgence. Faudrait-il mettre de côté les problèmes internes qui rendent impossible notre réelle union au nom de la nécessité d'agir? Il semble fort inapproprié d'encourager de grands nombres de personnes à s'unir s'ils ne sont pas prêt-e-s ou totalement consentent-e-s. Il serait pire encore d'être sourd d'oreille si des voix se levaient pour dénoncer ces problèmes. De telles dynamiques ont existé en 2012 et participèrent directement à la marginalisation et à l'exclusion de certaines franges du mouvement. Et ce n'est toujours pas des fédérations qu'il est question. Cette volonté d'établir un certain ordre de fonctionnement, une manière adéquate de faire, fut constituée au détriment de plusieurs. Cet empressement serait un facteur fort problématique s'il venait à se reproduire. Il semble plutôt que l'opportunité soit permanente, puisque l'exaction l'est tout autant. Il faut savoir prendre le temps de constituer des réseaux et des groupes adéquats, pour graduellement élargir les espaces et mener à la constitution organique de mouvements sociaux. Forcer cette union sera toujours synonyme d'opportunisme ou d'échec. Ou bien…

Ou bien sommes-nous à la recherche d'autre chose, de solutions à nos problèmes qui ne nécessitent pas de considérer les choses à la racine, où il suffit d'ignorer les questions que sous-entendent nos questions. Avons-nous fait la grève pour notre confort étudiant et la conservation de notre processus tarifé de placement professionnel? Sommes-nous intéressé-e-s par la réalité qui nous entoure? Sommes-nous interpellé-e-s par la condition des femmes, des communautés autochtones, de nos voisin-e-s anglophones, de notre environnement, des immigrant-e-s ou des exactions capitalistes quotidiennes qui constituent cette réalité? Si on regarde le parcours de la grève de 2012, il faut croire que non. Peut-être est-ce parce que nous n'avons pas su chercher une posture hors du pouvoir. Parce que nous étions engagé-e-s dans un rapport pouvoir-contre-pouvoir avec l'État. Dans un effort de protéger un «acquis social important» nous avons privilégié l'action directe, le rapport de force et avons négligé la consolidation de notre mouvement. Trop d'importance fût accordé à nos adversaires par rapport à nos besoins internes. Nous avons cédé à des paramètres préexistants qui nous ont organisé selon une certaine logique. Cette logique est la reproduction des structures mêmes qui génèrent notre oppression. Négos, casseroles, élections. FECQ, FEUQ, flics? Il semble que nous ayons choisi la quantité au détriment de la qualité.

Alors, quelles attentes se faire d'un mouvement qui souhaite reproduire les conditions misérables d'existence de notre société. Qu'essayons-nous de sauver qui vaut plus que notre santé physique et mentale ainsi que celle de nos camarades. Il n'y a pas de question qu'il ne faille pas poser, il n'y a pas de compromis à faire, ni de statu quo à entretenir. La rupture se doit d'être profonde et la table se devra d'être rasée. De par notre conscience (et nos privilèges), nous avons une certaine responsabilité de faire naître une nouvelle culture, un nouveau mode de vie, orienté vers la survie du vivant sous toutes ses formes. Une des clés de cette responsabilité est l'éveil critique et la radicalisation. En 2012 nous avons laissé le mouvement nous radicaliser, peut-être est-ce le temps de prendre en main ce processus et qu'il devienne un pilier fondamental de nos mouvements?

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