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La bum-o-phobie des riches

Par Emmanuel Cree - Dans les médias sociaux, ça a fait un sacré boucan. Ça se rivalisait l’indignation et le déchirage de chemise. Originalement, la source de ce tumulte, c’était des images qui proviennent de Londres : dans l’entrée d’un immeuble abritant des logements luxueux, des pics de métal venaient d’être installés au sol. Et ce, pure coïncidence, suite aux quelques visites de personnes réduites à dormir dehors.


Grossièrement, on visait à empêcher les bums et les autres indésirables de se reposer sous un simple toit, même provisoire et de fortune. Ou, dans une logique de « sécurité » obsessive, considérant qu’une personne itinérante est un risque potentiel (une nuisance), éviter que l’on perturbe la quiétude de cet oasis de barreaux, de fenêtres doubles cadenassées et de paranoïa à prix dérisoire.


Puis, des photos témoignant d’une pratique similaire ont fait surface. Car si elle n’est pas répandue, ou du moins, pas encore, elle n’est pas nouvelle. Et il n’est pas nécessaire de franchir l’Atlantique pour le constater. À Montréal, au coin Berri et Ste-Catherine, la librairie Archambault s’est faite pointer du doigt pour des installations semblables sur le rebord de ses vitrines. Embarrassé, on s’est grouillé l’fion d’ôter lesdits pics. On devine que ce n’était pas par un soudain élan d’empathie…


Comme je l’indiquais, la « découverte » de cette écoeuranterie a soulevé tout un tôlée. Rapidement, l’opinion publique s’est consternée. On s’est rappelé que toute personne, en théorie, a droit au respect et à la dignité, qu’importe la nature des maux qui l’affligent. Que le strict minimum, tristement, est encore de pouvoir se reposer, même sur une hostie d’surface rugueuse. Parce que malheureusement, en ce bas monde, tous n’ont pas un lit moelleux dans lequel se vautrer.


Par contre, il n’y a pas que les propriétés privées (résidentielles et commerciales) qui soient frileuses avec les plus démuni-e-s, les espaces publiques aussi tombent dans cette logique d’aseptisation sociale. Alors, que vous soyez pauvre, soit, mais le plus invisible et discret possible.


Pensons à ces fameux bancs aux accoudoirs multiples sur lesquels il est impossible de s’étendre. Gares de trains et d’autobus, stations de métro, parcs, name it. Peut-être se fondent-ils dans le décor, mais l’objectif d’un tel modèle de pose-cul n’est pas innocent.


Mieux, portez des vêtements un chouïa rafistolés, quelques piercings à la gueule, un sac de voyage qui a du vécu, et tentez une excursion dans un bâtiment gouvernemental ou une université. Bonjour l’accueil. La sécurité de l’UQAM est bien connue pour son comportement discriminatoire, voire agressif, envers les personnes fragilisées, même durant des températures sibériennes. Le complexe Guy-Favreau tolère que l’on s’assoit, mais à condition de garder les yeux ouverts, sinon, scrame! Idem pour la Gare d’autocars de Montréal, le complexe Desjardins, etc.


« Il en va du sentiment de confort et de la paix d’esprit du client/usager/consommateur. »


Mais la crème de la crème demeure le centre-ville de Montréal, durant la saison estivale. Toute la zone du Quartier des spectacles, le square Viger, et partout où il y a du fric à faire, du moment qu’un-e touriste pourrait s’offusquer, on repousse la vermine. Sécurité privée, cochons avec badges, tickets, judiciarisation, qu’importe, tant que les rues sont propres…


De ces saloperies, je tire deux constats.


Primo, que cette stigmatisation aussi vulgaire que méprisable lance un message on ne peut plus clair : les grosses bourses en général ne souffriront pas d’être dérangés ou de côtoyer la pauvreté crasse. Autant dans leurs grosses bicoques qu’autour de leurs secteurs d’activités financières. Ce n’est pas l’éradication d’une problématique sociale et économique qui est recherchée, mais seulement une manière de la réduire au silence, que les affaires roulent sans encombre.


Parenthèse.


Je le répète : à Montréal, toutes et tous semblent avoir ressenti un profond malaise envers cette histoire, moi y compris. N’en demeure pas moins que ces pics ne sont qu’une réaction, barbare et vicieuse, à l’itinérance.


D’où, le deuxio. Que nous soyons intolérants à ces gestes nous honore. Par contre, ne s’attaquer qu’aux réactions débiles des nanti-e-s vis-à-vis de la pauvreté ne fera qu’en apaiser la douleur. Au mieux. Il ne s’agit que d’un symptôme inhérent à un système qui engendre de facto des inégalités sociales.


Ce qui ne veut pas dire que laisser des comportements ignobles se produire ou non ne compte pas. Jamais de telles aberrations ne devraient être prises à la légère. Mais ayons la lucidité d’admettre que tant et aussi longtemps que nous endosserons, sciemment ou non, ce modèle de société, nombreux de nos congénères en paieront les frais.


Sinon, comme disait Falardeau, par l’entremise de Gratton, l’horrible frisé : « pis des pauvres, y en aura toujours… »

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